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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 23:04

L' image à la « une » du Washington Post, le 13 janvier dernier, a fait grand bruit. Pas à cause de son sujet - un pont baigné dans un coucher de soleil théâtral. Mais parce que le quotidien a ouvertement utilisé une photographie HDR (high dynamic range).

Le principe ? On prend plusieurs images de la même scène en changeant l'exposition. Puis on les combine à l'aide d'un logiciel pour obtenir une image où chaque partie est correctement exposée. Cette technique permet d'éliminer ombres, surexpositions, contre-jours. Certains ont aussitôt crié à la manipulation. Mais les partisans du journal soulignent qu'aucun élément de la scène n'a été modifié. Et, surtout, ils rappellent qu'une image HDR où tous les détails sont éclairés n'est pas moins réaliste qu'une photo illuminée artificiellement à l'aide d'un flash...

Au-delà de la polémique, l'épisode met en évidence l'arrivée d'images d'un nouveau genre et l'émergence de la photographie dite « computationnelle » (de computer,ordinateur). Alexei Efros, professeur associé à l'université Carnegie Mellon de Pittsburgh, aux Etats-Unis, et chercheur en informatique, explique : « C'est un nouveau domaine de recherche et on cherche encore une définition. L'idée, c'est qu'en associant l'ordinateur à l'appareil photo numérique on peut trouver d'autres façons de capturer et de représenter le monde. Et même changer ce qui est capturé du monde. »

Matériau composite

Du point de vue de l'image, la révolution numérique ne fait donc que commencer. « Jusqu'ici, les appareils photo numériques ont été utilisés pour faire comme avant, mais en mieux, estime Alexei Efros. Les logiciels comme Photoshop ont surtout servi à améliorer le rendu des photos. Mais c'est un médium totalement différent, qui peut faire des choses différentes. On n'est pas en compétition avec Henri Cartier-Bresson ! »

Pour Ramesh Raskar, professeur associé au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui prépare un livre sur le sujet, la photographie ne peut plus être la représentation en deux dimensions d'un instant unique, avec un point de vue unique : « L'invention d'optiques, mais aussi de capteurs, d'éclairages et d'outils de traitement informatique a permis de fabriquer de nouvelles images, avec des données qui ne sont plus seulement visuelles. »

Alors que dans la photographie traditionnelle la prise de vue était l'étape décisive, dans la photographie computationnelle, c'est la synthèse des données qui prend une importance majeure, le « clic » du bouton s'apparentant à une collecte d'informations. Dans ce type de photographie, l'image est souvent un matériau composite, comme dans le cas de la photographie HDR, où un ordinateur combine différents éléments pour obtenir une seule image.

Un autre exemple de photographie HDR :

C'est aussi le cas lorsqu'on réalise un panorama en « collant » bout à bout différentes images d'un paysage prises les unes à côté des autres. « On fait souvent de la photographie computationnelle sans même s'en rendre compte », souligne Ramesh Raskar. Les photographies prises sur un téléphone incluent souvent la date de prise de vue, les coordonnées spatiales et l'identité de l'auteur de la photo.

 

De nouveaux appareils pas très photographiques

Mais la photographie computationnelle est également liée à l'apparition de nouveaux appareils. Ainsi, l'entreprise Lytro a commercialisé récemment un appareil plénoptique, capable de capturer les rayons lumineux voyageant dans toutes les directions. Conséquence, on peut faire la mise au point sur n'importe quel élément de l'image, et ce après la prise de vue.

Ramesh Raskar a ainsi inventé toute une série d'outils novateurs, aux résultats étonnants. Un de ses appareils photo est capable de photographier une scène invisible, située dans une autre pièce : l'appareil, équipé d'un laser, émet des flashes extrêmement rapides, puis enregistre leur réflexion et traite ces données de façon à reconstruire la scène. Cette technologie pourrait servir, en cas de catastrophe, à localiser des gens coincés dans des bâtiments écroulés. Ou pour éviter les angles morts dans les rétroviseurs des voitures. Et même lors d'opérations médicales, pour connaître l'état d'un organe masqué par des os. Le même Ramesh Raskar a inventé un appareil capable de prendre mille milliards d'images à la seconde. En combinant rayonnement laser, capteurs ultrasensibles et algorithmes sophistiqués, il a réussi à visualiser un phénomène impossible à observer : une onde de lumière balayant un objet.

Outre les scientifiques, des artistes ont vu le parti qu'ils pouvaient tirer de ces outils. Le photographe Yves Trémorin, formé aux mathématiques, a créé des images qui sont en fait des « électronogrammes ». Un coléoptère saupoudré d'or, placé dans la chambre d'un microscope, est soumis à un faisceau d'électrons dont le rayonnement compose une image. Cette dernière n'a plus grand-chose de photographique, puisque la lumière naturelle n'intervient plus dans le processus.

 

L'une des grandes innovations de la photographie computationnelle est d'utiliser les ressources d'Internet. Alexei Efros a ainsi mis au point plusieurs algorithmes qui permettent, à partir des images trouvées sur le site Flickr, d'insérer des objets (comme des personnages) dans des images existantes ou de combler des « trous » dans des photos de façon extrêmement réaliste. « En utilisant les millions d'images prises par d'autres, on peut faire en sorte que la photographie témoigne de l'expérience générale du monde », assure Alexei Efros.

En 2009, lors de la prestation de serment de Barack Obama, la chaîne CNN a ainsi utilisé Photosynth, un logiciel mis au point par Microsoft : les spectateurs étaient invités à envoyer leurs images pour participer à l'élaboration d'une photographie en 3D.

Le résultat est impressionnant : on peut se mouvoir dans l'image, s'approcher ou reculer, comme si on était à la place de chacune des personnes présentes.Ici, la photographie computationnelle n'offre pas de voir mieux ou différemment le monde, grâce à nouveaux outils, mais aussi de multiplier les points de vue sur clui-ci. Comme si la photographie, activité solitaire par excellence, devenait aussi une expérience collective. De quoi fasciner aussi bien les journalistes et les scientifiques que les artistes.

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