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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 21:55

Ma vie quotidienne sans voile au Caire par Dalal Bizri (Al-Mustaqbal. Source Le Courrier International. 15.04.2010)

La loi n’impose pas aux femmes de porter le voile. Mais la pression de la société semble plus efficace. Un climat de terreur empêche tout débat sur sa légitimité religieuse.

Je me promène dans le souk de l’Azbakya entre les étals de livres. Je ne cherche pas un ouvrage en particulier. Mais je me mets à imaginer ce marché et ses environs il y a un siècle. L’ancien opéra, l’hôtel Al-Charq et la rue Adli. Comme je poursuis ma balade, un jeune en tenue islamique s’approche de moi, venu d’un autre temps, tranquille et léger. Il me tend un petit livre, comme il me lancerait une fleur. Le titre de l’ouvrage est “Le voile de la femme musulmane”. Cette invitation à porter le voile est la plus délicate qui puisse m’être faite dans les rues du Caire.

Tandis que Soumaya me raconte tous les jours ses mésaventures avec les porteuses de niqab (voile intégral), qui ne se laissent pas dissuader par le fait qu’elle soit chrétienne puisque sa religion est considérée comme une déviation, dans mon cas, l’injonction de porter le voile dans les lieux publics m’est souvent faite par des hommes. Que de fois l’ai-je entendue, dans le centre-ville, de la bouche d’hommes adultes ou de gamins chahuteurs. Mais elle peut aussi venir des femmes. La première fois, avec mon amie française Christine, qui a de longs cheveux blonds. Nous approchions de la station de métro lorsque j’ai entendu derrière moi des murmures, puis j’ai reçu un coup sur la nuque. Un groupe d’adolescentes voilées qui sortait de l’école m’a crié : “O femme, voile-toi !” On peut imaginer l’altercation qui a suivi cette agression et le scandale provoqué par l’attroupement des curieux. Christine est restée imperturbable. Elle n’était pas visée par les insultes et n’a pas reçu de coup sur la tête. “C’est peut-être parce que je ne me sens pas concernée par ce qui arrive à cette société, sans doute parce que je suis une étrangère, parce que ma joie de vivre au Caire atténue les problèmes”, m’a-t-elle dit. Bizarrement, personne ne s’est approché d’elle pour la questionner sur le voile, ni la bousculer… Même pas une petite tape. Pourquoi moi, alors ? Sans doute parce que l’apparence de Christine la range parmi les étrangers, les vrais khawagat (Européens), et donc parmi les personnes protégées. Un autre jour, sur le quai du métro, des adolescents, des garçons cette fois, m’ont crié : “Perruca ! perruca !” Tous les passagers se sont joints aux jeunes pour un véritable festival de sermons. Des dizaines de regards étaient braqués sur moi, avec mes cheveux découverts, comme si j’étais nue.

Au cours d’anglais, les élèves sont des femmes venant du monde entier : Japonaises, Espagnoles, Françaises… Outre moi-même, il n’y avait qu’une autre Egyptienne, prénommée Amal, qui portait le voile. A la fin de la formation, notre enseignante nous a invitées à fêter notre réussite chez elle. Amal m’a demandé agressivement si j’étais musulmane. Je lui ai répondu par l’affirmative, ce qui l’a énervée davantage. “Alors, pourquoi ne portes-tu pas le voile ! ? Pourquoi ?” Les autres femmes se sont tournées vers nous pour comprendre ce qui se passait. Pendant qu’Amal poursuivait ses invectives, je le leur ai expliqué, tout en tâchant de garder mon calme. “En quoi cela la regarde-t-elle ? Qui est-elle pour te l’ordonner ?” demandaient les autres. Cela n’a pas empêché Amal de poursuivre son délire sur le voile, le Jugement dernier, la religion… jusqu’à gâcher la fête.

Le voile n’est pas encore imposé par la loi, mais c’est pire. Il s’agit d’une volonté collective “librement” consentie, d’un climat de terreur… Les organisations égyptiennes de défense des droits de l’homme ont beau répéter que le voile doit être un “choix personnel”, l’emprise des religieux a réussi à clore le débat. Quand on demande publiquement à une femme voilée pourquoi elle porte le voile, elle répond : “Parce que Dieu l’a voulu ainsi”, ou : “Parce que ma religion m’ordonne de le faire.” Mais, en privé, dans une conversation entre deux femmes, les réponses sont aussi diverses que les personnes… Hoda porte le voile pour des raisons non religieuses, car elle ne considère pas que les versets du Coran l’imposent comme un devoir, mais pour une question d’identité. Alors, pourquoi le porte-t-elle ? Parce qu’elle estime qu’elle se trouve dans une confrontation culturelle avec l’Occident. Quant à Rania, elle a commencé à porter le voile quand elle vivait en Arabie Saoudite. Là-bas, porter le voile est “naturel”, explique-t-elle. Il ne faut pas se distinguer des autres. Nourane, qui milite dans une association, porte le voile parce qu’elle sent que les gens ne l’écouteraient pas si elle n’était pas voilée. Dina, elle, s’est voilée pour trouver un mari. “Toutes mes amies étaient voilées sauf moi, raconte-t-elle, sans doute parce que ma famille est libérale. Un jour, je me suis aperçue qu’elles s’étaient toutes mariées. J’ai donc décidé de me voiler pour ­trouver un mari.” Kawthar est une militante de l’islam politique, qui s’oppose aux Etats-Unis et à Israël. Mounira s’est réveillée un beau matin et a pris la décision de porter le voile. Quant à Loubna, une ancienne gauchiste, elle le porte “en attendant que la tempête islamiste passe”.

 

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