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19 juillet 2015 7 19 /07 /juillet /2015 16:35

Tchad : les attentats des 15 et 29 juin 2015

N’Djaména a été secouée par les attentats des 15 et 29 juin dernier. Les victimes sont nombreuses. Les avis des témoins sont si divers que les informations recueillies sont souvent contradictoires. Seule la version du gouvernement semble logique et « tient la route » selon les analystes. C’est Boko Haram. Il faut retrouver les réseaux et les commanditaires. Et c’est vers cette organisation et surtout les cellules dormantes qu’il faut faire les recherches.

Qui connaît le Tchad et son système de gouvernement se pose bien des questions. En effet, l’information y est toujours sélectionnée, montée et formatée pour qu’elle soutienne le régime ou exprime son point de vue. C’est une pratique qui ne date pas d’hier. Alors peut-on légitimement soutenir que la version gouvernementale de ces évènements est la vérité ou corrobore la réalité des faits ? Boko Haram est-elle le vrai responsable ? Quelles sont les preuves ?

C’est vrai, l’organisation de Mohamed Yousouf a beaucoup de Tchadiens dans ses rangs. Elle a su recruter et recycler de nombreux jeunes envoyés chaque année par milliers pour être formés dans les écoles coraniques du nord Nigéria. Peu d’entre eux rentrent au pays. La plupart sont embauchés dans le commerce, les transports, les travaux champêtres pour ce qui relève des activités légales et licites. Les patrons de ces entreprises sont en général les financiers de Boko Haram. Mais nombreux sont ceux qui sont dans les trafics de tous genres : contrebandes, fausse monnaie, drogue, armes et pourquoi pas le commerce humain.

Du vivant de Muhammad Yousouf, son lieutenant était Mahamat Nour, un Tchadien. Quand Boko Haram a engagé la lutte armée, de nombreux Tchadiens se sont retrouvés dans les rangs des combattants. Certains même ont été recrutés dans la région du Lac. A chaque fois que l’organisation essuie des revers militaires, les combattants refluent au Tchad. Oui ! Boko Haram doit avoir une légion de Tchadiens qui combattent en son nom.

Le Tchad et le Nigéria se partagent des ethnies à cheval sur la frontière commune. Les principales sont : les Kanuri, les Hausa, les Boudouma, les Kori, les Kanembou et les Arabes pour ne citer que celles-ci. Prenant part aux diverses transactions que génère la guerre, ces ethnies font des affaires grâce à Boko Haram sans être pour autant des militants de cette organisation. Elles sont souvent victimes des représailles de Boko Haram.

L’organisation extrémiste est une hydre. Elle est certes une organisation politico-militaire mais elle se divise en branches politique, radicale, religieuse, mafia d’affaires et bandits de grand chemin. On trouve de tout dans Boko Haram. On y achète tout et on y vend tout ! C’est parce que chacun y trouve ce qu’il veut que le pouvoir tchadien qui ne pratique pas une gouvernance éthique fait des affaires avec l’organisation de Shekau (successeur, après sa mort, de Mahamat Yousouf à la tête de la secte). Par deux fois au moins, il a montré qu’il avait des relations avec Boko Haram :

  • Lors d’un remaniement gouvernemental qui a vu le départ de plusieurs parents du Président, le chef de l’Etat a justifié cette éviction par le fait qu’il ne pouvait tolérer la présence des financiers de Boko Haram à ses côtés !
  • Le Président de la République a encore déclaré qu’il avait obtenu la libération des filles de Chibok selon les promesses de Shekau à la suite d’une négociation.

Une amitié lie le Président Idriss Déby Itno à Modou Ali Shérif dit SAS (Senator Ali Shérif), ancien gouverneur de Maiduguri, un des grands financiers de Boko Haram. C’est aussi de notoriété publique que les membres de Boko Haram circulent librement au Tchad malgré leur sombre réputation.

Dire dans ces circonstances que le Tchad est la base arrière de Boko Haram est un euphémisme. Elle est comme un poisson dans l’eau au pays de Toumai. De mémoire d’homme, jamais la police ou un militaire n’a arrêté un militant ou un simple sympathisant de Boko Haram. C’est dans ce décor de liberté de circuler pour les hommes et les biens, liberté d’organisation, de relations et d’actions de Boko Haram qu’il faut juger les liens entre l’Exécutif tchadien et l’organisation extrémiste. Plusieurs faits rendent énigmatiques les derniers attentats. Ils ont eu lieu dans une ville où est logé l’état-major opérationnel de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel et au Nigéria. Que Boko Haram ait agi au nez et à la barbe de la Présidence, de l’Ambassade de France, du siège des renseignements généraux et pas très loin de la base militaire française, voilà un haut fait de guerre dont l’organisation de Shekau devrait se glorifier. Or, deux semaines après les premiers attentats et plus de 72 h après la 2ème série, la secte islamiste garde le silence. Est-ce normal ?

Les indices qui peuvent orienter les enquêtes concernent toujours la police et l’armée : les véhicules, les présumés complices ou sympathisants, les maisons louées etc.

Ces enquêtes concernent en priorité la police en tant qu’institution et l’armée en tant que structure de défense. Il fallait donc une police des polices et une structure ad hoc constituée de militaires spécialistes pour démêler toutes les liaisons inextricables entre les hommes, les objets, les actes et les acteurs. Cela n’a pas été le cas.

Le chef de l’Etat, bien qu’il ait appris que la capitale avait été secouée par un drame, a attendu sagement la fin du sommet de l’Union africaine en Afrique du Sud pour regagner son pays. Visiblement, il ne s’est pas inquiété ni n’a été ému comme sa population devant les nombreuses victimes.

L’interrogation est d’autant plus grande qu’une autre version des faits révèle des informations contradictoires. Elle affirme en effet que le kamikaze du commissariat central est un policier dont on connaît l’identité. Son oncle maternel est un commandant de la Police. Sa mère est cousine de la belle mère du petit frère du président. Toutes ces personnes appartiennent au clan borogate, le côté maternel du président de la République. Le kamikaze de l’école de Police est un militaire de la sécurité présidentielle. Le véhicule à bord duquel il a opéré appartient à un colonel de la Police, notoirement connu pour avoir servi longtemps la Police politique connue sous le sigle ANS. Enfin, la maison qui a servi de lieu de fabrication des explosifs appartient à un général de l’armée nationale qui habite juste en face de cette maison et est bideyat, le clan du chef de l’Etat de son côté paternel. Le Président de la République, lui-même militaire, se trouve au centre d’une opération terroriste où son entourage est impliqué. Peut-il dans ces circonstances ignorer la vraie version des faits ? Le fait de rester impassible démontre soit qu’il ne se sent pas menacé, soit qu’il est indifférent aux malheurs qui ont frappé son peuple. Dans l’un et l’autre cas, cela est préoccupant !

Dans les derniers attentats du 29 juin, les policiers chargés de l’enquête et leur chef, le sous- directeur de la police judiciaire, ainsi que les principaux terroristes, sont morts. La femme qu’on a trouvée sur les lieux avec deux enfants a été conduite au commissariat et a disparu. Le seul survivant de la chaîne des complices et commanditaires est, quant à lui, en cavale. La police a déclaré que son arrestation n’était qu’une question d’heures. Jusqu’à présent, ce terroriste cavale toujours. Il y a donc un risque que les enquêtes piétinent. L’optimisme affiché par le gouvernement ne reflète pas le danger auquel le Tchad doit faire face. Un optimisme qui cadre mal avec les nombreuses victimes qu’a connues le pays et l’inquiétude qui s’est emparée de la population notamment dans les grandes villes. Les structures sécuritaires semblent ne pas pouvoir protéger les lieux de grande concentration de foules, à supposer vraiment que les cellules terroristes qui sont entrées en action existent encore.

A défaut de démêler cet enchevêtrement des faits non élucidés, qui restent de la mission de la police, l’on peut s’interroger sur qui peut tirer profit de ces attentats ?

Est-ce Boko Haram ?

La structure djihadiste a menacé trois fois le régime de N’Djamena. C’était lorsque le Tchad se préparait à intervenir au Mali. Dans une déclaration, Boko Haram avait menacé de s’en prendre à N’Djamena si preuve était faite que les soldats tchadiens étaient engagés contre les combattants de l’AQMI et ses alliés. A cette occasion, l’effort de N’Djamena était surtout de protéger l’aéroport international de la capitale. Des barrages avaient été érigés à la hâte par la police, mesure vite oubliée et avec les menaces d’Ebola, on ne parla plus de Boko Haram. Puis le président tchadien engagea les soldats au Nigéria. Encore à cette occasion, Shekau déclara prendre acte de l’intervention des forces d’Idriss Deby dans son califat et dit qu’il répondrait à la guerre par la guerre. Après quelques affrontements sur le terrain où Ndjamena cria vite victoire, Shekau déclara n’avoir « pas de soldat à opposer à Deby mais des candidats à la mort. »

Tout porte donc à croire que Déby et Shekau se détestent cordialement même si le Tchad reste la base arrière de Boko Haram. Les deux hommes ou plutôt les structures qu’ils président ont entretenu et entretiennent des relations de complicité manifeste.

Boko Haram achète sa logistique au Tchad : vivres, armement, tenues et chaussures pour les combattants, carburant etc. Elle y dispose de réseaux de complicité et des parrains jusqu’au haut sommet de l’Etat. Et même s'il ne bénéficiait pas ou très peu de ces relations incestueuses, l’Etat aux mains des clans de Déby est une opportunité d’affaires. L’impunité généralisée, l’achat de la loi pour qui veut se mettre à l’abri des punitions, le goût de vendre et d’acheter toutes choses, toutes personnes, et tout ce qui rapporte de l’argent, crée une situation où tout est permis. L’Etat est rendu ingouvernable. « Il est interdit d’interdire » ! Les hommes de Boko Haram sont au Tchad comme dans un paradis. Pourquoi s’en prendraient-ils à cet Etat qui leur permet tout, qui leur donne tout ? Et pour couronner le tout, « le Tchad lui fournit des combattants courageux. » Le Tchad n’est pas seulement une base arrière, c’est un Etat partenaire de Boko Haram. Cet Etat voudrait-il combattre cette organisation qu’il se heurterait à toutes les résistances et à toutes les pressions. En vertu du principe selon lequel « l’intérêt parle toutes les langues et joue tous les rôles d’acteurs y compris celui du plus désintéressé », l’affairisme qui nourrit et unit les gens du clan au pouvoir est la sève qui alimente leur raison et guide leurs comportements. Personne n’a intérêt à combattre Boko Haram. Chacun a tout à gagner de cet état de choses.

Est-ce l’Etat tchadien ?

La pratique politique dépouillée de toute morale et de toute considération d’éthique et d’humanité expulse de la conscience l’ange qui l’habite pour y loger le démon. L’homme qui préside aux destinées du Tchad, n’est pas un ange. Tout le monde sait que c’est un homme politique très rusé s’agissant de ses intérêts, pratiquant les traquenards et ne respectant pas la parole donnée. Les assassinats politiques et crapuleux sous son régime sont tellement nombreux qu’ils ont été banalisés. Les crimes de masse dans chaque ethnie, chaque région, lui ont permis d’asseoir son pouvoir, de le gérer et de le conserver. Et pour cet objectif, il gouverne le Tchad d’une main de fer avec son armée. L’administration civile et même les finances publiques ont été militarisées. Un tel système a-t-il intérêt à créer ces attentats ?

Commençons par les actes et les raisons qui peuvent conduire à l’intérêt politique majeur. La répression sauvage contre les communautés kanouri et haoussa. La fermeture des mosquées dites appartenant à l’islam radical, l’interdiction de leur organisation et la surveillance permanente de leurs leaders.

La répression de l’islam radical

L’hégémonie de l’islam des confréries est très contestée par des acteurs nouveaux qui s’affirment salafistes ou wahhabites. L’islam tchadien de rite malékite connaît des dissensions en son sein. Est-ce une raison pour que l’Etat prenne parti ? Après avoir encouragé l’islam salafiste et shiite, le président se range brusquement du côté des tidjanes, des soufis à travers le président du Conseil supérieur des Affaires islamiques mis auparavant comme un interface pour contrer et réprimer les autres courants. Un décret du chef de l’Etat a interdit l’association des Oulémas du Tchad et le mouvement Ansar Assounna al Mahamadia.

Une semaine après les premiers attentats, ce sont les mosquées dites salafistes qui sont fermées. L’ANS talonne les leaders. L’interdiction de la burqa concerne surtout les femmes de la communauté Kréda à majorité wahhabite, et le hijab les musulmanes ordinaires.

Les humiliations gratuites et publiques faites à ces femmes par la police sont une démarche de provocation qui ne restera pas sans suites. Le Tchad avec ses mesures arbitraires risque d’entrer dans la guerre entre les courants de l’islam. Dans cette confusion entre burqa, hijab et autres tenues vestimentaires, le gouvernement dit combattre l’islam radical mais ses actes relèvent d’une action politique beaucoup plus insidieuse.

La répression des communautés.

Kanuri, Boudouma sont arrêtés. Leurs maisons perquisitionnées, fouillées, pour des populations dont la présence au Tchad est l’une des plus anciennes. Demander à certains des papiers justificatifs de leur nationalité sinon les remettre à la frontière, c’est de l’arbitraire et de l’injustice. A l’occasion d’une visite rapide à Bol, (région tchadienne des Kanuri et des Boudouma), le président de la République a dit à la foule : « C’est vous, Boko Haram. » La voie est toute indiquée à la police : la répression au faciès.

Alors que les Kanuri sont évacués vers le lac pour être remis dans leur pays, les Haoussa sont dans la ligne de mire de répression de la police. Ils sont soupçonnés à leur tour d’être les relais de Boko Haram. Personne ne sait quel est le tour de la prochaine communauté.

Cette répression d’un groupe à l’autre n’aura pas de limites. Toute la population peut y passer. C’est comme les tueries organisées contre les groupes ethniques et contre les régions (événements de Boudouloum, de Niguilim, du Logone Oriental, d’Amtiman etc.) qui ont servi à asseoir et à consolider le pouvoir actuel. Qui s’en souvient ? Même si la mémoire collective en reste marquée.

L’atteinte aux libertés publiques et individuelles.

Au nom de la lutte contre Boko Haram, les meetings, les manifestations publiques, les regroupements de foules, sont interdits. S’ensuivront les mesure de limitation de circulation des hommes et des biens, la fermeture d’autres mosquées, l’interdiction des associations, autant d’atteintes à la liberté religieuse et de conscience. Déjà un projet de loi sur le terrorisme en préparation annonce la couleur. Elle justifie les écoutes téléphoniques, la surveillance des leaders politiques et syndicaux, des responsables religieux, des journalistes et des militants des droits de l’homme.

Cette loi voudrait se débarrasser des « grandes gueules », des empêcheurs de tourner en rond et de tous ceux pour qui les valeurs humaines ont un sens.

En conclusion, si un parallèle peut être fait entre les intérêts de Boko Haram et le pouvoir tchadien par rapport à ces attentats, l’Exécutif du Tchad est gagnant. Lorsqu’on met ensemble les indices de preuves de ces attentats, qu’on s’interroge sur les vrais témoins, la disparition des enquêteurs et des terroristes dans les explosions, tout cela ressemble à une action planifiée et exécutée par des services secrets. Une action de Boko Haram ne peut mobiliser autant de policiers, de militaires, d’agents secrets et toutes les logistiques de support, tout ce monde travaille pour le pouvoir pour ne pas dire pour le président. Il est fort à parier que les enquêtes diligentées n’aboutiront pas comme ce fut le cas de tous les assassinats politiques que le Tchad a connus. Les attentats des 15 et 29 juin resteront aussi un secret d’Etat.

Georges Sirius

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