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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 17:50

La région du Sud-Kordofan paie cher son soutienà la partition du pays. Les habitants vivent dans la terreur

Dans la pénombre, on aperçoit en premier des dizaines de paires d’yeux écarquillés. Une quarantaine d’enfants apeurés sont agglutinés au fond de la grotte, les uns accroupis par terre, d’autres assis de travers entre deux grosses roches. Ils picorent timidement dans un bol rempli de sorgho et de feuilles de haricots, tendu par Cécilia Abbas, une des réfugiés. «Les enfants ne sont pas en bonne santé car nous n’avons plus de quoi les nourrir. Ce n’est pas un endroit pour des êtres humains», déclare cette femme, agrippant la croix qu’elle porte autour du cou, le front plissé par une colère froide. Soudain, elle s’interrompt et observe le ciel. Quelqu’un a perçu un bruit sourd dans le ciel et s’écrie: «Antonov!» Le son de l’avion de fabrication russe, utilisé par l’armée soudanaise pour larguer des bombes, est devenu familier. Les enfants, dès leur plus jeune âge, sont désormais capables de différencier le son d’un Antonov de celui d’un Mig, avion de chasse bombardant également les zones rebelles. La panique se diffuse en un éclair et tout le monde se précipite pour se mettre à l’abri. Au bout de quelques minutes, lorsque la menace s’est estompée, certains commencent à ressortir avec soulagement.

Ces centaines de villageois vivent dans la terreur depuis trois mois, parqués dans ces grottes, à une trentaine de kilomètres à l’est de Kadugli, la capitale du Sud-Kordofan, au Soudan. Cette région frontalière avec le Soudan du Sud, devenu indépendant le 9 juillet, s’est embrasée début juin. La région est stratégique, peuplée à la fois par des populations arabes nomades, les Baggara, alliés de Khartoum, et par les Nuba, qui se sont majoritairement alignés sur la rébellion sudiste pendant la guerre civile. Les Nuba forment une mosaïque complexe de groupes ethniques, qui diffèrent à la fois par leur dialecte et leur religion, mais qui sont unis par l’appartenance commune à une culture africaine, une identité et une terre, ces montagnes granitiques particulièrement fertiles. Raison pour laquelle une grande partie d’entre eux a pris les armes au côté du Sud afin de lutter contre l’arabisation et l’islamisation forcées.

A l’époque, il s’agissait de créer un nouveau Soudan, promouvant l’égalité de tous les peuples. Mais après la mort du leader sudiste John Garang, en 2005, le Sud a pris le chemin de l’indépendance, laissant la région frontalière en première ligne dans le jeu de dupes qui se déroule entre les deux nouvelles entités. Le Sud-Kordofan, riche en pétrole, aurait dû accueillir des consultations populaires pour décider de son statut futur, mais comme beaucoup d’engagements issus de l’accord de paix, cela ne s’est pas concrétisé. En mai, l’élection contestée du gouverneur a mis le feu aux poudres. Ahmed Haroun, le candidat du parti du Congrès national (au pouvoir à Khartoum), a été proclamé vainqueur contre Abdelaziz al-Hilu, le candidat du Mouvement populaire pour la libération du Soudan (MPLS, formation au pouvoir au Soudan du Sud). Ahmed Haroun est en outre recherché par la Cour pénale internationale pour des crimes commis au Darfour.

Depuis le début de la guerre, Khartoum a recours aux grands moyens avec des bombardements systématiques. Le rythme de ceux-ci s’était espacé un temps, car le gouvernement avait dû se concentrer sur le conflit qui a démarré début septembre dans une autre région frontalière, le Nil Bleu. Mais ils ont très vite repris et le résultat est d’une efficacité redoutable: la plupart des villageois n’osent pas redescendre dans la plaine. Généralement, un ou deux avions circulent en altitude autour d’une zone, ils repartent, reviennent, et c’est alors qu’une série de lourdes explosions retentit, deux, trois, parfois cinq ou six bombes, toutes larguées depuis l’arrière de l’appareil. Impossible dans ces conditions de cibler précisément un objectif. Une école, un hôpital ou une maison en fera les frais. L’absence de cible militaire à proximité de ces bombardements a été dénoncée par les organisations de défense des droits de l’homme, qui réclament une zone d’interdiction de vol et une réaction du Conseil de sécurité de l’ONU, lequel brille par son silence.

Mère de trois enfants, Lina Ousmane se force à s’éloigner de la grotte de temps en temps pour cultiver un peu de sésame à flan de colline. «La saison des semences est terminée, nous n’avons pas pu accéder aux champs et, dans quelques mois, nous n’aurons plus rien à manger», s’inquiète-t-elle. Seule une infime partie des terres a été cultivée cette année, faisant craindre une grave pénurie alimentaire l’année prochaine. Son époux a été blessé au front il y a plusieurs semaines et elle ignore s’il a pu rejoindre un hôpital. Leur village a été la proie d’affrontements entre l’armée et la rébellion, et un obus a atterri sur leur toukoul (maison traditionnelle), la poussant à fuir: «Je me suis réfugiée dans ces grottes puis, au bout d’une semaine, j’ai voulu revenir avec des voisins pour récupérer des biens et de la nourriture.» Mais, ce jour-là, un Antonov a bombardé le village. «Nous avons pu nous protéger, mais je garderai toujours l’image de mon oncle, allongé sur son lit, le corps déchiqueté par les éclats. Il était trop vieux pour courir. Je suis partie sans regarder derrière moi.»

Les frappes aériennes sont assorties d’exécutions extrajudiciaires et de fouilles maison par maison à la recherche de partisans du parti politique sudiste, désormais interdit au Soudan. Ayub Abukassim, un vieux paysan au visage fripé, a réussi à échapper in extremis à un coup de filet des forces armées soudanaises. Un dimanche de juin, sa maison, dans le village de Bardab (au nord de Kadugli), a été encerclée. Il s’est caché sous une table dans une remise à meubles. Son épouse a prétendu qu’il était sorti. A la nuit tombée, il a fui avec une dizaine d’autres villageois pour rejoindre à pied la zone rebelle, tandis que sa femme et sa fille sont parties trouver refuge à Khartoum. «Je savais que quelque chose allait arriver. Tous ceux qui ont voté pour Abdelaziz risquaient d’être arrêtés.» Un de ses voisins, Kandirma Abdinar Pacha, 63 ans, est un partisan affiché du MPLS. Il raconte qu’il a été torturé pendant vingt-cinq jours lorsqu’il a rejoint la rébellion sudiste, au début des années 1980. Lorsque le conflit a débuté, il se trouvait à Kadugli: «Avec quelques autres, nous avons décidé de nous faufiler hors de la ville. Les balles fusaient autour de nous. Nous nous sommes dirigés vers la mission des Nations unies au Soudan [Minus]. Mais celle-ci a été prise d’assaut par les forces gouvernementales. On a entendu que des gens avaient été arrêtés à l’intérieur, puis exécutés, alors on est partis. Arrivé à mon village, des voisins m’ont dit que des soldats me cherchaient et que mon nom était sur des listes, j’ai décampé aussitôt.» Depuis le début des combats, le 5 juin, les organisations humanitaires ont été interdites. Tous les stocks du Programme alimentaire mondial sont épuisés et les Nations unies estiment à 200000 le nombre de personnes affectées par le conflit.

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